Comme vous avez pu le comprendre sur Twitter, j’ai assisté, hier soir, à une projection parisienne de Rude Boy Story. Ce film de Kamir Meridja propose de retracer le parcours de Dub Inc., groupe de reggae talentueux, et pose notamment plusieurs questions sur l’indépendance musicale, la reconnaissance et le succès. Etre indépendant des majors, qu’est-ce que cela implique ? Pourquoi le groupe, qui remplit des Zénith, tourne sur les gros festivals et s’invite dans le monde entier, ne fait l’objet d’aucun article, d’aucun reportage ?
Bien sûr, c’est avec un regard amoureux que j’ai assisté à la projection, car comme vous le savez, j’admire profondément ces musiciens. Je ne peux donc pas comprendre le regard déçu porté par lemonde.fr. La caméra de Rude Boy Story ne reste pas à distance du groupe : elle est dans la foule, derrière la batterie, cachée au fond de la scène ou exhibée en plein milieu, derrière les chanteurs agités. Elle s’invite dans les tournées internationales, dans le coin d’un bar portugais, sur un trottoir new-yorkais. Elle interroge les journalistes qui ne parlent pas de Dub Inc., les membres du groupe, dans leur studio, les copains connus (Idir, Sinsemilia, Babylon Circus…) qui les soutiennent. Ultraprésente, la caméra vit, sautille, observe puis bondit.
On découvre beaucoup d’extraits de concerts et cela fait frétiller les jambes. Difficile de ne pas se lever pour chanter avec le public du film, heureux et enthousiaste. “On adore Dub Inc. !”, s’exclament des jeunes filles portugaises ; “nous accueillons un groupe de renommée internationale”, présente une Jamaïcaine ; “ils ont un avenir”, conclu un reggae-man animateur de radio américaine. Partout où ils passent, ils rendent les gens heureux. Leur dynamisme et leur joie est communicative.
Mais malgré leur succès toujours grandissant et les acclamations du public, le groupe avoue une petite frustration : celle de ne pas exister dans les médias non-spécialisés. Difficile de ne pas les comprendre. Comment expliquer qu’aux Solidays, les journalistes évitent leur conférence de presse et oublient de parler d’eux le lendemain, quand les têtes d’affiche, voisins de scène, ont droit à des articles dignes de ce nom ? La musique est bonne, indubitablement. Le public est au rendez-vous, les albums se vendent, les salles se remplissent… Serait-ce uniquement leur indépendance qui leur jouerait un tour ? Selon les quelques journalistes interrogés, c’est même la seule raison. Impensable pour un rédac’chef de laisser son équipe présenter un groupe “inconnu” qui n’a rien d’autre à vendre que ses spectacles déchaînés. A quand des rédac’ chefs ambitieux, passionnés et courageux ?!
L’indépendance de Dub Inc. est finalement un atout, et ils en ont conscience : partir au bout du monde jouer dans un bar, aller simplement à la rencontre du public après le show, tout maîtriser de A à Z… finalement, cette liberté n’a pas de prix.
Après la projection, Kamir Meridja est venu présenter son travail et la genèse du film. D’abord, le groupe n’a pas adhéré au projet, qui a mis trois ans à voir le jour. Puis il a compris que ce mec à la caméra qui les suivait partout n’était pas si fou que ça. Le film, tout autant indépendant que le groupe, mise sur le bouche à oreille : conçu sans aucun moyen financier, il se déplace de ville en ville comme un groupe de musique. Solliciter les cinémas, haranguer les foules, payer ses billets de train et se débrouiller, voilà ce qui fait de Rude Boy Story un film courageux, préparé par un entêté !
Encouragez donc le réalisateur dans sa démarche, en assistant à une projection. Toutes les dates à venir sont sur le site dédié, Rudeboystory.com. C’est moins cher qu’une séance de ciné classique, ça fait réfléchir sur l’univers musical actuel et ça fait découvrir un groupe fantastique. La soixantenaire venue hier l’a dit : elle veut maintenant les écouter s’ils passent par là.