Rien qu’en y repensant, j’en frissonne. C’est hier que j’ai découvert le dernier film palmé de Michael Haneke. J’en suis sortie bouleversée, presque chancelante, mon parapluie à la main. J’ai pensé à Amour tout le long du chemin qui me ramenait chez moi. J’y ai repensé le soir. J’y repense aujourd’hui.
Amour n’est pas un simple film. C’est un bijou. Tendre et précieux. Nous y découvrons un couple d’anciens professeurs de piano, vieux mais encore amoureux, passionnés par la musique et la lecture. Si doux l’un envers l’autre, ils sont peu bavards mais se disent l’essentiel. Habitant dans un grand appartement parisien, vieillot et charmant, Georges et Anne semblent mener une vie tranquille. Jusqu’au jour où la vieille femme a une absence, au petit-déjeuner, après avoir cuit l’œuf de son mari. Son regard est perdu dans le vague, elle ne répond plus.
C’est en cela que l’affiche est si belle : elle révèle la beauté de ce visage absent, déconnecté. Elle donne à voir l’élément perturbateur de l’histoire, ce court moment qui fait tout basculer. Car même si au bout de quelques secondes, Anne reprend ses esprits, le mal est fait. Elle a eu une courte attaque, point de départ d’une fin de vie dramatique.
L’héroïne, incarnée par la merveilleuse Emmanuelle Riva, se fait alors opérée de la carotide, sans résultat. L’intervention chirurgicale a échoué, elle a déclenché une paralysie de tout le côté droit. Georges devient donc l’assistant personnel de sa femme : il la déplace, la lave, la porte, lui prépare son assiette, l’observe vivre un peu craintivement. Jusqu’à une nouvelle attaque qui transforme Anne : elle ne peut plus bouger, plus parler, plus s’alimenter ni se laver seule. Totalement dépendante, elle perd goût à la vie et crie sa douleur à qui veut l’entendre.
Amour est un hymne à l’union de deux êtres, prêts à tout l’un pour l’autre, même au pire si cela peut soulager. Long (plus de deux heures) et silencieux, ce film est rythmé par les allers-retours de Georges, de la chambre au salon, de la cuisine à la salle de bains. La caméra est intelligemment utilisée : hors-champs évocateurs, gros plans, immobilité… Elle erre en huit-clos, dans cet appartement sombre et immense, déjà mort.
On pleure en sortant, du moins on tremble. Rien n’est fantasmé dans cette histoire, tout est crédible, cela se produit chaque jour. C’est cela qui me touche le plus. Le silence pesant des génériques de début et de fin renforcent ce sentiment de fatalité. Comment affronter la mort ? Comment l’accepter ? Quel sens donner à cette fin de vie… dirais-je “inutile” ?
Haneke filme la mort avec pudeur, par le biais de deux sublimes acteurs que sont Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva. Sans fracas, sans bruit, on pénètre dans l’intime, doux et effrayant à la fois. On en ressort ému et ahuri. Une Palme d’or à voir, sans aucun doute.
Ton article est très bien écrit, il « donne envie » mais moi j’ai un peu peur d’aller le voir…
De quoi as-tu peur ? C’est sûr que ce film n’est pas joyeux, mais à mon avis, il faut le voir quand même. Il n’y a pas que des comédies dans la vie ! 🙂