Livres

L’arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984), Riad Sattouf

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Pourquoi cette bande-dessinée ?

Je m’étais promis, une fois mon salaire tombé, de m’offrir l’une des milles bandes-dessinées qui me font envie en ce moment. Chose promise, chose faite : quelques déambulations chez Cultura m’ont fait craquer pour celle-ci.

De quoi ça parle ?

Riad Sattouf, dessinateur et réalisateur connu pour La vie secrète des jeunes ou les films Les beaux gosses, Gainsbourg ou Camille redouble (que j’ai adoré !), raconte son enfance en Libye et en Syrie. D’origine franco-syrienne, il revient sur sa découverte de ces pays arabes : son installation avec ses parents, la rencontre avec la famille, les autres enfants, les règles de vie en société…

Mon avis

Superbe bande-dessinée autobiographique ! Riad Sattouf est un dessinateur de talent : il observe le Moyen-Orient des années 70-80 avec ses yeux d’enfant et le raconte avec beaucoup d’humour. Ainsi, les autres enfants ne cessent de s’insulter, haineux envers les Juifs dès leur plus jeune âge, et Riad décide d’apprendre les insultes « traditionnelles » de Syrie. Les adultes sentent la sueur et ne sont pas très chaleureux, mais lui préfère cette odeur à celle de l’air français. Le mode de vie des Libyens, qui n’ont pas le droit de propriété et prennent donc le risque de se faire piquer leur appartement s’ils le quittent, a l’air de le fasciner. On découvre tout cela à travers lui, avec la même curiosité, quoi qu’un peu plus méfiant puisque l’on connaît aujourd’hui les horreurs commises par Kadhafi (à ce propos, lisez Les proies, dans le harem de Kadhafi, d’Annick Cojean).

Riad est aussi entouré d’une famille originale : une mère française, finalement assez effacée, qui suit son mari fougueux sur les terres de son enfance ; un père politisé plein de contradictions qui a tout d’un héros pour le petit Riad ; deux grands-mères très opposées, l’une bretonne et charmante, l’autre syrienne et mystérieuse… On s’attache à tous ces personnages qui semblent n’avoir rien en commun, si ce n’est les liens du sang ou du mariage.

Les dessins, enfin, sont tout ce que j’aime : traits fins, formes arrondies… la simplicité est au rendez-vous. On se sent immergé dans la vie de la famille Sattouf et l’on imagine très bien les villes et campagnes arabes grâce aux quelques éléments dessinés et aux descriptions de l’auteur. Pas besoin de tout un tralala !

L'arabe du futur, Riad Sattouf, première page
L’arabe du futur, Riad Sattouf, première page

Une très chouette BD, donc, qui mérite d’être offerte, à vous-même ou à votre entourage. Très riche en texte, elle met un certain temps à se lire et l’on ne regrette aucunement son achat !

SATTOUF Riad, L’arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984), Allary Editions, 2014, 158 pages

Livres

Les proies, dans le harem de Kadhafi, Annick Cojean

CV-Les ProiesOK.qxp:301,3x205Pourquoi ce livre ?

Je n’en avais entendu que du bien. Lorsque ma grand-mère l’a reçu pour Noël, je me suis empressée de lui demander de me le prêter quand elle le voudrait. Ce fut chose faite il y a un mois environ.

De quoi ça parle ?

Il s’agit d’une enquête menée par la journaliste Annick Cojean sur les horreurs commises par Kadhafi et ses sous-fifres : le Guide libyen, depuis des années, a en effet séquestré, violé, torturé et tué des centaines de femmes et jeunes filles, qui composaient son harem personnel au sous-sol de sa villa. Horrifiée par les rumeurs, Annick Cojean a enquêté et obtenu quelques témoignages, dont celui de Soraya, détruite mais courageuse, qui raconte dans le détail l’enfer qu’elle a vécu alors qu’elle n’avait que 13 ans.

Mon avis

Difficile d’écrire sur le sujet tant il est terrible… Je ne sais pas par où commencer, car je suis encore bouleversée par ce que j’ai lu. Le livre est découpé en deux parties : d’abord, on découvre le récit de Soraya, l’une des esclaves sexuelles de l’ancien dictateur libyen. La jeune fille, qui a aujourd’hui mon âge, raconte tout dans le détail : son enfance, la visite du Guide dans son école, comment elle fut choisie puis enlevée, sa vie d’esclave, ses humiliations, sa descente en enfer… Dès le début, on est happé par son histoire : elle semble irréelle, impensable. Pourtant, c’est bien la vérité qui éclate au grand jour : fou, dangereux, pervers et meurtrier, Kadhafi n’a pas seulement mené une dictature extrême en Libye, il a commis d’horribles méfaits, protégé par sa toute-puissance et par les traditions de son pays.

Car les viols, les crimes et les séquestrations subis par toutes ces femmes ne sont que sources de souffrance et de honte. Là-bas, le sujet est tabou, bien plus encore qu’en France. Détruites, honteuses et rongées par le désespoir, les victimes ne sont pas encouragées à parler de leur histoire. La deuxième partie du livre est dédiée à l’enquête de l’auteur, qui a rencontré d’autres femmes. Sous couvert d’anonymat, les voici qui racontent elles-aussi les horreurs qu’elles ont vécues, en priant la journaliste de ne pas ébruiter leurs témoignages.

Certains hommes, aussi, sont appelés à donner leur avis : des employés, qui savaient et ne disaient rien, ou ne pouvaient rien dire ; des victimes, aussi, eux-aussi violés et séquestrés par le Guide ; des responsables de l’armée, qui faisaient semblant de tout ignorer mais protégeaient tout de même les femmes de leur famille.

A la lecture de ce livre ressort deux grandes idées : Kadhafi était un monstre sans foi ni loi, prêt à tout pour assouvir ses pulsions sexuelles morbides. Le sexe fut le moyen pour lui de tout contrôler et d’avoir un droit de vie ou de mort sur quiconque. Savoir qu’il a côtoyé d’autres chefs d’Etat et des personnalités du monde entier, alors qu’en son sous-sol croupissaient des filles et des femmes, est une pensée insupportable. Moi-même, je me suis souvent demandé ce que je faisais durant ces instants… L’autre idée qui ressort du livre, c’est bien sûr que la Libye, encore rongée par ces années terribles, n’ignorait rien de ces horreurs. Encore aujourd’hui, tout cela semble connu des Libyens, mais ils n’en parlent pas. On préfère étouffer ces sombres années plutôt que de faire hommage aux victimes et de les libérer d’un poids qui les étouffe.

Sur ce, je vous laisse avec un petit mot écrit par ma grand-mère, qui résume très bien mon opinion :

Il est bon parfois de se pencher sur le sort des femmes esclaves sexuelles de dictateurs fous, ou otages d’hommes de guerre ou même de paix. Souvent exclues de la société, certaines meurent de honte et de désespoir. D’autres osent dire leur calvaire et dénoncent leurs tourmenteurs, qui seront rarement poursuivis. Il est des femmes qui lèvent la tête et tissent, ensemble, un avenir meilleur pour leurs petites filles, souvent à leurs risques et périls. Femmes Courage, Femmes Résistantes, que puis-je faire pour vous aider ? Parler de vous.

COJEAN Annick, Les proies, dans le harem de Kadhafi, éditions Grasset, 2012, 324 pages