Alice, Judith Hermann
Le temps est suspendu dans ce court roman, facile à lire mais si bien écrit. A travers cinq chapitres, qui n’ont de commun que le personnage d’Alice, l’auteur s’applique à décrire les instants qui précèdent ou suivent la mort d’un proche. Alice, héroïne dont on ne connaît rien, ni son âge, ni son visage, est confrontée à cinq reprises à la mort d’un ami, d’un membre de sa famille, d’un amoureux…
Micha, Conrad, Richard, Malte et Raymond se meurent, lentement ou brutalement, ou sont déjà disparus. On suit alors Alice et sa manière d’aborder la disparition. Calme, pensive, triste certes, mais sereine. Les personnages ne parlent pas beaucoup. Quand ils le font, c’est pour se dire l’essentiel. Judith Hermann préfère nous faire sentir le parfum des fleurs abandonnées sur une table. Elle dresse une atmosphère lourde, silencieuse. Chacun ressasse ses souvenirs, appréhende sa propre mort, reprend difficilement et lentement le cours de sa vie.
Il ne se passe presque rien, en réalité. Pourtant, l’écriture, si riche, si détaillée, n’ennuie pas le lecteur. Presque sensorielle, la plume de l’auteur fascine et donne vie aux instants suspendus provoqués par la mort. Autour, la vie continue : les rues sont encore vivantes, les gens circulent, les boutiques accueillent leurs clients, la pluie et le soleil fluctuent… Mais dans le cœur d’Alice, tout est figé.
Elle ne pleure pas, ne crie pas, ne supplie pas. Elle accepte la mort de manière admirable, en s’accrochant parfois à quelques souvenirs, en admirant la beauté des choses les plus simples, la lumière du soir, le bruit du vent, l’odeur des cuisines des voisins…
Un très beau roman, donc, récompensé par le prix littéraire allemand Hölderlin. Chaque personne ayant vécu la disparition d’un proche comprendra ce sentiment bizarre, ce contraste entre vie et mort, entre rupture et continuité. Oui, il manque quelqu’un. Oui, la vie continue. Mais différemment.
HERMANN Judith, Alice, Albin Michel, traduit de l’allemand par Dominique Autrand, 2012 (2009 version originale).